Depuis que Carole est repartie, tout à l'heure, je réfléchis.
Je réfléchis et j'arrive à une impasse. Je ne trouve pas la conclusion de tout cela. Elle a réussi à faire naître en moi l'espoir d'être libéré, et en même temps, je n'arrive pas à être tranquille, je sens le coup fourré.
Il est vrai qu'elle avait l'air particulièrement sincère...
Mais... Hum...
Que faire ? Que penser ?
L'homme qu'ils avaient fait entrer dans ma cellule est toujours là. Il dort contre le mur. Je crois qu'il n'a plus vraiment peur de moi et nous discutons parfois. Il garde quand même un peu ses distances.
Ce silence, cette obscurité, cet ennui à longueur de temps rendent fou au bout d'un moment. Mais depuis que Carole m'a parlé, je n'arrive pas à m'empêcher de ressentir une petite excitation, l'espoir de sortir.
J'entends des bruits de pas qui approchent. La porte s'ouvre et Carole entre.
Elle a l'air bizarre. On dirait qu'elle est méfiante. Elle fait le moins de bruit possible, comme si elle se trouvait là où elle ne devrait pas.
Je me poste près des barreaux tandis qu'elle s'approche à pas de loup. Elle se met à me parler en chuchotant.
- Ecoute-moi, j'ai parlé à un ami. Il m'a dit qu'il ne fallait surtout pas demander ta libération au maître. Il refuserait et me tuerait. La seule chose à faire est d'attendre qu'il y ait moins de Decays puis de te faire sortir rapidement et sans bruit. L'ami en question essayera d'occuper les quelques personnes qui seraient encore restées.
Elle pose sa main droite sur ma joue gauche, avec tendresse.
Je suis partagé entre l'envie de la repousser immédiatement et celui de la laisser tant elle a l'air sincère. Et puis elle prend des risques.
Je décide de rester simplement impassible.
Au bout de quelques secondes elle enlève sa main.
- Et qu'adviendra-t-il de toi ? demandé-je
- Je... serai tuée...
- Alors, pars en même temps que moi et fuis quelque part.
- Non, me dit-elle le plus calmement possible, je dois assumer pour deux raisons. La première est que tu me proposes de fuir quelque part, et je sais que tu ne voudras pas que je t'accompagne, or, vivre sans toi m'est impossible. La deuxième raison est qu'il est possible que nous soyons repérés. Je me battrai et me débattrai, ils seront occupés par moi, donc tu auras plus de chance de ne pas être rattrapé.
Pourquoi je n'arrive pas à la haïr ? Quelqu'un d'autre se ficherait peut-être de son sort et profiterait quand même de la situation. Mais je n'y arrive pas. Pourtant j'aimerais vraiment réussir à la détester, mais c'est plus fort que moi, et je sais d'avance les mots qui vont sortir de ma bouche, presque à contrecoeur :
- Alors viens avec moi
- T'accompagner ? dit-elle les yeux écarquillés et plein d'espoir
- Oui, dis-je laconiquement.
- Tu es sûr ? demande-t-elle les yeux plissés, comme si elle redoutait que je change d'avis.
- Oui, dis-je en soupirant.
- D'accord, répond-elle les larmes aux yeux. Merci infiniment.
De sa manche elle essuie des larmes.
- Ecoute, il y a une expédition tout à l'heure, et il ne restera que peu de Decays. Nous devrons profiter de ce moment. Tiens-toi prêt. Ce sera d'ici une demi heure à une heure.
- Une demi heure à une heure ? Si vite ?
Elle fait oui de la tête.
Mon coeur s'emballe et bat la chamade. Je ne m'attendais pas à sortir si vite.
Cette évasion me semble maintenant si proche, si réelle que je ressens une certaine excitation.
Je ne tiens plus en place.
Je suis de nouveau plein d'espoir. Et malgré Tendy que je n'oublierai jamais, que j'aime, et dont le souvenir me fera pleurer bien des fois, j'ai de nouveau envie d'aider les humains, d'accomplir ma mission. Et puis...
Aaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhhhhhhhh ! Je ressens d'un coup cette force qui tente de s'insinuer dans mon esprit, très violemment... et y parvient...
Je mets un genou à terre et me tient la tête. J'utilise toute mon énergie pour contrer leur maître, mais il est trop fort. Je le sens progresser au fur et à mesure. Lentement mais sûrement.
Je redresse la tête, et voit une Carole au sourire pervers.
Que faire ?
- Décidément, Wings.of.hope, tu es le plus grand imbécile de tous les temps. Tu es aisément manipulable.
Elle rit à gorge déployée. Un rire sinistre.
Alors tout était faux...
Tout...
Je transpire à grosse gouttes. J'arrive maintenant à stopper la progression de la force, mais au prix d'un effort terrible. Combien de temps pourrais-je tenir ? Très peu.
Et il n'y a personne pour m'aider. Pas de Wings.of.tenderness.
- Alors mon cher, comment vas-tu ?
Elle rit de plus belle.
- Finalement tu n’auras jamais rien compris. Tu es trop pur, trop candide... le plus grand con de la terre. Tu nous as toi-même donné la solution, puisque tu disais que c'est le fait que tu n'avais plus d'espoir qui faisait que le maître n'avait pas d'emprise sur toi. Il suffisait donc de t'en redonner. Et comme un con, tu t'es fait avoir.
Je n'en peux plus...
- Avant que tu ne changes de bord, laisse-moi t'expliquer certaines choses. Evidemment, tu ne t'en serais jamais rendu compte, mais tu es un Wings exceptionnel. Malgré ton jeune âge, tu accomplis ta mission remarquablement. Tu réussis, consciemment ou pas, à trouver le juste équilibre. A éviter ce fameux problème, chez vous les Wings, du trop ou trop peu. Tu réussis ta mission d'une manière parfaitement équilibrée, ce qui nous pose problème. Pas un problème à court terme, tu t'en doutes, mais à long terme. Un problème qui plus tard, sera insoluble car avec le temps, tu accompliras ta mission à grande échelle avec cet équilibre. Il fallait donc réagir. J'ai donc été envoyée pour saper ton point fort, l'espoir. Le maître m'avait enlevée momentanément mes ailes puis je t'ai séduit, te faisant croire que je t'aimais. Quel débile tu étais de croire que j’aurais pu t’aimer. Au moment où ton amour pour moi était à son paroxysme, nous avons organisé mon faux suicide pour profiter de ton désespoir et te changer. Mais tu étais fort, tu résistais tant bien que mal. Ensuite, nous n'avions pas prévu que la Source enverrait Wings.of.tenderness t'aider ; nous étions sûrs de réussir lorsque tu étais au commissariat, mais elle avait empêché ta transformation. Cela avait contrarié nos plans. Mais peu importe, le reste s’est déroulé comme prévu, et tu es à nous maintenant, ce n'est plus qu'une question de peu de temps.
Je n'en peux plus, je n'arrive plus à contrer le maître, et je le sens s'insinuer toujours plus profondément en moi.
Est-ce la fin ?
Je sens mes résistances s'amoindrir dangereusement. Je n'ai presque plus d'énergie.
C'est comme si je ne retenais mon corps que par un petit filament de conscience.
Je sens que je perds le contrôle de mon corps.
Je...
Wings.of.hope se lève.
Son regard a changé.
Tout a changé.
Il marche en direction de l'homme qui partage sa cellule. Celui-ci s'est réveillé et regarde le Wings avec terreur. Il tremble comme une feuille. Il est prostré contre le mur.
Sans hésitation, Wings.of.hope lui décoche une droite incroyable, si puissante qu'il lui brise presque toutes ses dents et sa mâchoire. Un fleuve de sang coule. Par "chance", l'homme perd tout de suite connaissance. Wings le maintient, et un second coup de poing pulvérise son nez en de nombreux morceaux et fait se cogner sa tête si fort contre le mur que son crâne éclate et éclabousse le mur de sang et de liquide céphalo-rachidien.
L'homme est mort mais il continue de le cogner avec une force inouïe. Ses poings sont recouverts de son sang et si son corps esquisse un horrible sourire sournoisement heureux, une larme perle sur sa joue.